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Le blog de Kitty
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12 février 2020

De la pauvreté comme baromètre de la "santé" d'une civilisation – suite 4

Hello kittens,

 Comme promis, nous voici en route pour la civilisation celtique. Accrochez vos ceintures et attachez vos braies (ancêtre celtique du pantalon), c'est parti ! ^^

 De même que dans les autres civilisations de l'époque, dans la société celte, le religieux est indissociable de l'organisation de la vie courante. Ainsi, elle est fortement marquée par la symbolique du chiffre trois. On trouve des tripartitions dans de nombreux registres. Celle qui nous intéresse est la tripartition sociale sur laquelle s'est calquée la féodalité au Moyen âge. En effet, la société celte comprend trois classes sociales : la classe sacerdotale, chargée de la relation avec le divin et de l'organisation des rapports sociaux (elle comprend les prêtres et prêtresses, les druides, les prophètes et prophétesses, les bardes et bardesses) ; la classe guerrière, chargée de tout ce qui touche au rôle militaire, notamment la défense et l'attaque (elle comprend les guerriers et les guerrières) ; et la classe productrice, chargée, comme son nom l'indique de produire aussi bien des objets que de la nourriture (elle comprend les artisans, hommes et femmes, les paysans et paysannes, les commerçants et commerçantes...). On oppose généralement les deux premières classes citées à la troisième, en les nommant "élites" et en comparant la troisième à la "plebs" romaine, mais je pense que c'est un non sens. En effet, un artisan possédant la maîtrise de son art était révéré à l'égal voire supérieurement à un guerrier, par conséquent il me semble que si élitisme il y avait, c'est à un autre niveau. En effet, il n'est pas à douter que les personnes les plus pauvres se trouvaient effectivement en majorité dans la classe productrice (paysans pauvres, petits artisans, colporteurs...), néanmoins des artisans renommés, des commerçants habiles et des propriétaires terriens éleveurs ou agriculteurs pouvaient certainement être mieux considérés que de jeunes guerriers, par exemple, car la notoriété étaient apparemment plutôt basée sur la richesse et l'influence du "pater familias" (pour reprendre le terme latin) que sur l'appartenance de classe. De plus, si l'organisation sociale était plutôt conservatrice, un fils de druide devenant généralement druide et un fils d'artisan héritant du savoir-faire de son père devenait à son tour artisan, celle-ci n'était pas aussi rigide que dans la civilisation romaine, par exemple. Donc même si le cas était rare, il était tout à fait possible de changer de classe, un fils d'agriculteur pouvant devenir guerrier s'il le voulait, par exemple. Je n'ai donné que des exemples masculins car, dans notre langue, le neutre s'est fondu dans le genre masculin dans le français moderne et donc j'y ai regroupé tous les cas. En effet, le rôle social de la femme est globalement identique à celui de l'homme (la seule différence étant qu'elle porte et élève les enfants et n'a pas accès à l'intégralité des fonctions sacerdotales). Il n'y a donc rien de spécial à dire de plus sauf à vouloir entrer dans les détails (pour cela, je vous invite à vous reporter à des sites ou livres spécialisés. Je donnerai quelques références en fin de message).

Parlons maintenant de la royauté. Le roi est élu au sein de la classe guerrière, par les autres guerriers (c'est une préfiguration du "primus inter pares", premier entre les pairs, du système féodal), et sous le contrôle des druides. cependant, il n'y a pas de roi des Gaules. La "centralisation" maximale (le terme est impropre, mais je n'en ai pas d'autre à proposer...) se situe au niveau "ethnique" ou "tribal". Ainsi, les Eduens ont un roi, les Sequanes également, mais les deux peuples ne se sont jamais unis sous la férule d'un seul roi (pour ne citer que ces deux-là). Quant à Vercingétorix, il n'a réuni autour de lui que les tribus du sud-est de la Gaule (Je doute que les Vénètes, tribu ayant vécu sur le site actuel de la ville de Vannes dans le Morbihan, aient participé à la guerre des Gaules...), ce qui est déjà pas mal pour des tribus qui n'ont pas une notion patriotique plus étendue que l'organisation des villages de leur peuple. Globalement, un village gaulois s'organise autour de la maison du chef et comprend au mieux une trentaine de huttes familiales. Les oppida (singulier oppidum, mot emprunté au latin) se développent seulement à l'époque gallo-romaine et peuvent couvrir plusieurs centaines d'hectares, mais elles restent des exceptions dans le paysage gaulois traditionnel. Ce chef de village dirige bien souvent sa propre famille, au sens très large : avec les enfants et les ascendants directs, mais aussi les cousins germains, les oncles et cousins issus de germain et autres liens familiaux couvrant plusieurs générations (c'est la famille "à la mode de Bretagne" ou la "tiospaye" dans la tradition des Sioux). Au-delà de la famille ne se reconnaissent que des relations de dépendance, de vassalité ou d'allégeance à un plus puissant. On voit assez bien que la pauvreté va se situer au niveau de l'isolement plus ou moins relatif de la personne. Celui qui n'a pas d'enfants et très peu de frères et soeurs va être beaucoup moins protégé socialement que celui qui en a beaucoup, d'autant plus que la législation celtique est principalement basée sur le droit privé, le droit public étant quasiment inexistant. C'est pourquoi le roi n'est pas entouré par une structure administrative faite de fonctionnaires d'Etat. La notion d'Etat étant inexistante, les fonctionnaires n'existent pas non plus. Si les impôts existent et sont versés au roi pour être redistribués, en principe sans avarice ni refus, leur gestion est dévolue au roi, qui nomme éventuellement un ou des gestionnaires pour cela, mais c'est à sa propre discrétion. Idéalement, le bon roi est protecteur, généreux et ne laisse personne manquer de rien. Sous son règne, la terre est fertile et facile à travailler, les animaux sont féconds, la justice est appliquée facilement et sans accabler les coupables et les victoires militaires sont constantes. A l'opposé, un mauvais roi accable ses sujets d'impôts et de taxes sans leur offrir la moindre contrepartie, pas même une réelle protection. Sous son règne, la terre est stérile, les animaux refusent de procréer, la justice est inique et accablante, la défaite militaire inéluctable. Un tel roi se voit immanquablement réclamer la restitution de la royauté. En théorie, les pairs (les guerriers) et le druide demandent au roi de renoncer à son autorité pour permettre de nouvelles élections. Dans la réalité, cette royauté est souvent réclamée et obtenue par la force et le roi finit mal... Par conséquent, l'intérêt du roi est de maintenir un équilibre social supportable s'il veut conserver la vie.

Puisque j'ai dit au tout début de ce message que le religieux est indissociable de l'organisation de la vie courante, il est indispensable de parler des druides et du fait religieux celte. On sait peu de choses sur la religion des Celtes car elle est peu documentée et a souvent été mal interprétée. De plus, comme dans la société celte, tout est basé sur le sacré et transmis oralement, l'écriture étant réservée aux druides et à des pratiques très limitées, on dispose de très peu de noms de dieux (sauf ceux de l'Irlande, grâce aux écrits des moines irlandais) et on ne sait pratiquement rien des rites eux-mêmes. Cependant, grâce à des découvertes archéologiques et à des travaux de comparaison mythologiques, il a été possible de reconstituer certaines pratiques religieuses et de comprendre comment "fonctionnait" la religion celtique. Dans son ouvrage La Civilisation celtique, C-J Guyonvarc'h explique que les dieux celtiques sont les différents aspects de la divinité suprême qui assume toutes les fonctions et dépasse toutes les classes. Donc la religion celte se rapproche du monothéisme sans l'être tout à fait... Ce qui est intéressant, c'est qu'il n'y a pas de représentation anthropomorphique des divinités celtiques avant la période gallo-romaine où l'influence de la pensée latine semble vouloir s'imposer aussi sur le plan religieux. Ainsi que le dit C-J Guyonvarc'h : "Comme dans la définition biblique c'est l'homme qui a été créé à l'image de la divinité et non l'inverse. Dieu peut créer l'homme, mais l'homme ne peut pas créer Dieu ni même le regarder en face." Autre similitude avec la Bible, le nombre trois est pour les Celtes le symbole de la parfaite unité divine.

Les druides sont les membres de la classe sacerdotale. Ils bénéficient de nombreux privilèges, dont celui de parler avant le roi (c'est même un interdit pour le roi que de prendre la parole avant le druide). Il peut participer à la guerre (il peut donc être un guerrier s'il le veut, mais les guerriers ne peuvent pas être druides). Il y a trois catégories de druides : La première est celle des druides théologiens (je crois que c'est cette catégorie qui n'est pas accessible aux femmes), qui ont la charge des choses religieuses, mais aussi de la justice, de l'enseignement et de la surveillance du pouvoir politique ; la deuxième catégorie est celle des bardes (hommes ou femmes), qui s'occupent d'histoire et généalogie, de littérature, de prédiction et satire, diplomatie, musique, médecine, distribution de la boisson, information, architecture ; la troisième catégorie est celle des devins (hommes ou femmes), qui on pour attribution toutes les applications "pratiques" de la religion, dont la divination et la médecine. La prévalence des druides est liée au fait qu'ils "détiennent" la science, à savoir la connaissance, la sagesse et la science sacrée. En tant qu'intermédiaires entre le divin et le monde matériel, ils sont, en quelque sorte, le fondement de la société celtique et en assurent la cohérence à travers leurs différentes fonctions. Ils semblent transmettre les valeurs du code social celte à travers l'enseignement de récits. Ces récits mythologiques mettent en valeur le code de l'honneur des Celtes qui, dans les récits du moins, est très strict. Le mensonge, l'hypocrisie et le vol sont rares et non tolérés. Cependant, le droit législatif privé, bien que précis et en principe équitable, permettait aux plus habiles de "tirer leur épingle du jeu", comme on dit... La perfection n'est pas de ce monde...

Pour résumer, l'organisation sociale des Celtes est principalement familiale. La personne pauvre est donc très probablement une personne isolée, privée de famille, quelle qu'en soit la raison, et qui a pu être contrainte par les circonstances (guerre, maladie, autre...) à se mettre au service d'un plus fort. Il existe des relations d'allégeance et de vassalité, et l'esclavage semble également attesté. Donc la société celte est inégalitaire, mais pas plus que celles des autres civilisations de la même époque. Il ne semble pas y avoir eu, comme dans l'Egypte antique de lois susceptibles de donner les même droits à tous devant la justice (même s'il semble que le droit privé ait été très développé car les Celtes étaient apparemment très procéduriers) ni de règles divines protégeant les plus faibles (quoique... mais nous savons très peu de choses sur la religion des Celtes). Cependant, les Celtes semblaient dotés d'un important sens de l'équité (voir le rôle de pourvoyeur du roi et sa générosité idéale évoqués précédemment) et d'un grand sens de l'honneur appuyé sur le respect de l'autre. Reste à déterminer  jusqu'où s'étendait la notion d'autre en tant que personne humaine. Et là, nous avons très peu d'informations (les esclaves étaient-ils considérés comme des personnes à part entière ou comme des possessions ? A partir de quel degré de misère une personne perdait-elle son statut d'être humain dans la société Celte ? Cela ne semble pas encore déterminé de façon certaine...) Tout ce que nous pouvons dire, a priori, c'est que la société Celte semble comparativement moins dure aux faibles que la société Romaine, mais probablement plus dure que la société Egyptienne... Toute proportion gardée... La seule chose que je peux dire également, c'est que l'organisation sociale Celte semble avoir été relativement stable tout au long de son histoire et ne semble pas devoir son déclin à autre chose qu'à l'incursion forcée d'éléments extérieurs incompatibles, je veux parler de la conquête romaine...

Ceci étant, je suis obligée d'admettre que cet article fait beaucoup d'hypothèses étayées uniquement sur des lectures, certes sérieuses et scientifiques mais incomplètes, et non sur des études réalisées personnellement. Comme le dit C-J Guyonvarc'h dans son ouvrage précédemment cité, la civilisation Celte a fait l'objet de nombreuses interprétations erronées et s'il peut poser des affirmations de par son travail, je ne peux, quant à moi, apposer sur mes hypothèses le sceau de la certitude en l'état de mes connaissances et de ma propre compréhension de ce fait civilisationnel.

Cet article clôt la série d'explorations des civilisations antiques du pourtour méditerranéen. Le but de ces explorations était de corréler la stabilité d'une civilisation avec la manière dont elle "gérait" la pauvreté en son sein. Il me semble avoir pu établir qu'une société, du moins dans l'Antiquité, était d'autant plus intrinsèquement stable qu'elle assurait un minimum de confort (relativement à la perception de l'époque) ou de capacité de subsistance aux plus faibles de ses membres. Je ne vais pas aller jusqu'à dire que l'extrême misère n'existait pas dans les civilisations les plus stables, mais elle restait suffisamment "marginale", si vous me permettez ce terme, pour que cette organisation sociale soit globalement tolérable voire appréciée par ses membres, ce qui en assurait la stabilité.

Quand j'ai commencé ce projet, j'avais songé à explorer ensuite le Moyen âge occidental, les califats du Moyen Orient, et remonter les âges jusqu'à l'époque actuelle. Mais le long travail de recherche que m'a valu la civilisation Celte, pour une récolte, somme toute, assez parcellaire m'a résolue à renoncer à ce vaste projet. Je pense avoir établi la démonstration de ma problématique et, si cette démonstration n'a pas l'exhaustivité mathématique requise pour être scientifiquement approuvée, tant pis. Libre à ceux qui le souhaiteraient de poursuivre cette étude dans les domaines que j'ai renoncé à explorer ou de faire un parallèle avec la situation actuelle (il y aurait de quoi faire, je pense...). Il est possible que je fasse des articles sur le monde médiéval ou sur d'autres périodes de l'histoire qu'il me plaira d'explorer dans ce blog, mais j'en ai fini avec cette problématique.

J'espère que ces articles vous auront intéressés et vous dis à bientôt pour de nouvelles aventures...

A la prochaine,

Kitty

 

Les références de mes recherches :

Des livres :

La Civilisation celtique, C-J Guyonvarc'h, Ed Payot, 1996.

Sous le français le gaulois, Pierre Gastal, Ed Adverbum, 2003.

Pour comprendre les Celtes et les Gaulois, Jean-Michel Thibaux, Ed Pocket 1999.

Un site : L'abre celtique et en particulier la page suivante :

http://www.arbre-celtique.com/etude/02-societe/societe.php

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